lundi 29 juin 2015

L'histoire à la sauce "Lorànt Deustch"

En 2009, Lorànt Deutsch, jusque-là connu comme acteur, publia Métronome, un livre consacré à l'histoire de Paris. Comme je compte écrire moi aussi l'histoire d'une ville (Lisieux, si vous n'avez pas suivi), il m'a semblé intéressant de comprendre comment le jeune auteur s'y était pris d'autant que son ouvrage a remporté un incroyable succès (plus d'1,5 millions d'exemplaires vendus).  Son histoire de Paris est-elle un modèle à suivre pour mon histoire de Lisieux ?

Dans le milieu historique, évoquer Lorànt Deutsch fait sourire. Comment prendre au sérieux un acteur comique reconverti en auteur de livres historiques ? Les historiens professionnels, au moins dans un premier temps, ont donc ignoré son  travail. Pourtant, le best-seller de Lorànt Deutsch devrait les interroger alors que les ventes de leur propre livre excèdent exceptionnellement les 10000 exemplaires. Métronome a incontestablement répondu à une demande du public. J'aimerais que mon livre y réponde aussi.

Un métronome lexovien

Si vous avez lu Métronome, vous connaissez son principe. Chaque chapitre a pour titre une station de métro qui sert de prétexte à raconter un siècle de l'histoire de Paris. Ainsi la station "Châtelet-les Halles" introduit le IXe siècle et permet à l'auteur de narrer les assauts des Vikings contre la capitale, Châtelet renvoyant à une forteresse qui a subi leurs multiples sièges.

Plus généralement, Métronome est une ballade à travers Paris, dont Lorànt Deutsch serait le sympathique et passionné guide. Au-delà de la station de métro, il explique l'histoire de certains lieux du quartier (une maison, une rue, un monument...). Les Parisiens découvrent au fil de la lecture quel personnage, quelle anecdote, quel événement se cachent derrière ces endroits qu'ils parcourent habituellement d'un pas pressé.

A Lisieux, ville dépourvue de métro (et ça risque de durer), le cheminement de Lorànt Deutsch semble inapplicable. Mais il suffit juste d'un peu de souplesse pour arriver au même résultat. Au lieu des stations de métro, je pourrais partir d'une plaque de nom de rue ou d'un monument ancien. Par exemple, la rue Henry Chéron et l'avenue Saint-Thérèse permettent de présenter deux grandes figures de l'histoire lexovienne. La cathédrale rappelle la domination des évêques-comtes de Lisieux avant la Révolution ; la tour Sainte-Anne, près du commissariat, est une introduction à parler de l'ancien rempart  médiéval et donc de la guerre de Cent Ans. Mais il y a aussi quantité d'endroits qui mérite d'être éclairés à la lumière du passé. Qui sont les Mathurins de la rue du même nom ? Pourquoi la grande rue piétonne du centre-ville s'appelle Pont-Mortain alors qu'aucune rivière ne la traverse ?

J'avoue que ce plan "touristico-historique" me tente. Il présente l'avantage de partir de l'environnement quotidien des Lexoviens pour entrer dans le passé. Or, je pense qu'il est important de s'appuyer sur des éléments concrets ou familiers pour raconter l'histoire d'une ville à ses habitants. Cette façon de faire me séduit d'autant que je crains d'être dépassé par la masse d'informations que je recueille sur l'histoire de Lisieux. Par où commencer ? Quel angle choisir ? Les noms de rue, les édifices, les sites historiques me semblent des balises commodes et rassurantes pour tracer des chemins d'écriture dans ce fatras de faits historiques, de périodes, de lieux et de personnages.

Un roman historique

Lorànt Deutsch a su s'adresser à un public peu familier avec l'histoire. L'auteur ne prend pas de haut ses lecteurs et se fait un plaisir d'en revenir aux bases. Votre connaissance de l'Antiquité se limite à Vercingétorix et à Jules César ? Vous comprendrez sans difficulté le premier chapitre.

 
Au-delà du fond, les lecteurs ont sûrement aimé la forme. Lorànt Deutsch adopte souvent le récit pour son histoire de Paris. Un récit vivant, riche en images, en odeur, et en bruit. Avec en prime un certain sens du drame. Ainsi quand l'auteur fait le récit de la déposition de Childéric III, le dernier roi mérovingien :
On a beau être un roi fainéant, cette journée de novembre 751 est de celles que l'on préfèrerait ne pas revivre. Dans l'après-midi, une délégation de nobles et d'évêques se présente respectueusement devant le roi franc Childéric III et lui tient avec révérence un discours stupéfiant...
La nation franque met fin au règne de Votre Sublimité et à la continuité de votre dynastie.
Childéric ouvre de grands yeux étonnés mais il n'a pas vraiment le temps de réagir : de gros bras se saisissent de sa frêle personne, l'assoient de force sur une chaise basse tandis que d'autres rudes gaillards, armés de ciseaux, s'appliquent à tailler sa longue chevelure, signe de l'autorité royale. Les mèches de cheveux clairs qui tombent silencieusement sur les dalles marquent la fin du règne des Mérovingiens.
On s'y croirait. J'aime cette reconstitution imagée mais, en même temps, elle me gêne. La frontière avec le roman n'est plus bien claire. En réalité, les historiens ne savent pas exactement ce qui s'est passé en cette journée de novembre 751 (d'ailleurs on ne connait pas sa date exacte). Seule certitude : Childéric a été déposé, puis rasé. Pour Lorànt Deutsch, ce n'est pas assez. Insatisfait du laconisme des sources, il y remédie en brodant sur l'événement.

Et cette dérive traverse tous les chapitres. Comme dans les pièces de théâtre dans lequel il joue, Lorànt Deutsch pose un décor, habille de costume ses personnages, postule leurs sentiments, imagine leurs dialogues. Sous la plume de l'auteur, la page d'histoire s'anime au risque d'être complètement fictive. Lorànt Deutsch enrichit une réalité insaisissable pour mieux capter et séduire son lectorat. De Michel de Decker à Stéphane Bern, il n'est pas le seul à procéder ainsi.

Alors comment écrire mon livre ? Je ne veux pas concevoir un roman déguisé en une histoire de Lisieux ; j'aurais l'impression de tromper les lecteurs. A l'inverse, si je mets un point d'honneur à respecter la vérité historique, je risque de tomber dans un autre travers : écrire une histoire désincarnée, sèche, ennuyeuse. Il faudra que je trouve un chemin intermédiaire.

jeudi 18 juin 2015

De quoi pourrait parler ce livre ?

Pour préparer mon travail de recherche, j'ai voulu commencer par un dépouillement de tous les articles et livres qui traitent de l'histoire de Lisieux. J'ai renoncé : il y en a beaucoup trop. J'ai donc renversé ma méthode : définir d'abord des thèmes de recherche puis trouver les références bibliographiques qui étayeront mon propos.


D'ors et déjà, quelques sujets me semblent incontournables. J'explorerais les liens multiséculaires de Lisieux avec la religion. Sainte Thérèse a fait de la ville le deuxième centre de pèlerinage de France, après Lourdes, mais, bien avant sa mort, Lisieux était une capitale religieuse puisqu'elle accueillait un évêque. Un rôle renforcé par l'installation de différents couvents (bénédictins, dominicains, mathurins, ursulines).

J'aimerais aussi reconstituer la vie quotidienne et l'aspect de la ville à une époque précise. Peut-être la fin du Moyen Âge ou le XVIIIe siècle. Qu'est-ce qu'un Lexovien voyait ou faisait ?

Le danger d'écrire une histoire d'une ville, c'est de rester enfermé dans le périmètre de ses remparts. Par ses fonctions administratives, culturelles, économiques, Lisieux rayonnait sur les villages alentours, et plus largement le pays d'Auge. Il me semble intéressant de découvrir les liens, les échanges entre les Lexoviens, les villes voisines et les ruraux

Afin d'offrir une autre grille de lecture de l'histoire lexovienne, je me vois bien proposer un circuit à travers la ville pour expliquer les noms de rues, et raconter les bâtiments et autres édifices. Sûrement une réminiscence de mon activité de guide. J'ai fait visité la ville pendant cinq ans lorsque j'étais étudiant.

Un chapitre pourrait rassembler toutes les histoires curieuses liées à Lisieux. Une sorte de recueil d'anecdotes. L'histoire de la fille ensorcelée de Courson me semble un bon exemple. Elle n'a pas grand intérêt historique mais ne manque pas de piquant (au sens propre comme au sens figuré).

Et vous, des thèmes vous viennent à l'idée ? 

lundi 1 juin 2015

Les armoiries de Lisieux, côtés face et obscur


Le 29 mai 2015, Denis Joulain, héraldiste, présentait son livre Le Calvados armorié. Blason des communes du Calvados devant la Société historique de Lisieux. Le conférencier n'a pas manqué d'aborder le cas lexovien. Si l'origine du blason de la ville est bien connue, il subsiste deux petits mystères.

Blason de Lisieux

« Blason Lisieux » par Anno16 Cette image a été réalisée pour le Projet Blasons de la Wikipédia francophone i
 
Selon Denis Joulain, alors que les logos se comparent à la "carte de visite" et évolue donc selon les modes, les armoiries sont comme une "carte d'identité" . Composées de couleurs et de dessin, elles représentent, en une image, une grande famille, un artisan, ou une collectivité, comme les villes. 

Visible sur le fronton de l'hôtel de ville, les armoiries de Lisieux, plus exactement sa partie centrale, appelée blason, se décrivent ainsi  : 
D'argent aux deux clefs de sable passées en sautoir, cantonnées de quatre étoiles du même, au chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or
L'héraldique est en effet un véritable langage qui, pour le non-initié, reste en grande partie incompréhensible. Traduisons les différents éléments : 
  • D'argent (blanc) 
  • aux clefs de sable passées en sautoir (clés noires disposées en croix)  
  • cantonnées de quatre étoiles du même (c'est assez clair), 
  • au chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or (dont la partie supérieure est bleue et dessinée de trois fleurs de lys jaunes)
En fait, la municipalité a repris le blason du chapitre, ce collège de chanoines chargés de l'entretien et de l'animation de la cathédrale, avant la Révolution. Les clefs en sautoir renvoient à saint Pierre, le patron de la cathédrale. Selon les Évangiles, Jésus avait donné les "clefs du royaume des cieux" au premier de ses apôtres. Dans l'esprit populaire, ces clefs sont devenues celles du paradis.

La partie supérieure (la bande aux 3 fleurs de lys) serait un ajout de l'évêque Thomas Basin pour commémorer la reconquête de Lisieux par le roi de France en 1449. La ville était en effet depuis plus de trente ans occupée par les Anglais. 

Les armoiries de Lisieux sur le fronton de l'hôtel de ville. Le blason est surmonté d'une couronne murale, en l'occurrence un château à trois tours. Cette construction rappelle sûrement que la ville était fortifiée.

Le blason lexovien s'explique donc facilement. Il reste toutefois quelques détails incompris aujourd'hui. Que représente les quatre étoiles ? L'héraldiste Denis Joulain ne le sait pas avec certitude. Peut-être une symbolisation des quatre évangélistes ? Autre mystère, pourquoi les couleurs ont changé ? En effet, il semble qu'au XVIIe siècle, le blason était d'azur à deux clefs d'argent (bleu à deux clés blanches). 

Si vous avez des réponses, laissez un commentaire.  
Si vous êtes intéressés par le sujet, voici deux liens :
Edition du 17 juin 2015 : Après avoir lu l'article, M. Joulain m'a fait part d'une explication sur la couronne murale (une enceinte à trois tours), qui surmonte le blason :
La "couronne murale" indique à l'origine une ville affranchie de la tutelle seigneuriale. Cette coiffe étant alors mise en lieu et place de la couronne habituelle du suzerain (comte, marquis, etc.). Cela ne veut pas dire que la ville était ceinte de murs, même si, du coup, cela était souvent le cas. Plus tard, la couronne murale servait à distinguer les villes des autres communautés (et le nombre de tours leur importance...), mais les ornements extérieurs étant plus ou moins libres, les utilisateurs ont laissé errer leur imagination (on retrouve une couronne ducale pour l'orgueil d'appartenir à un ancien duché historique... Une couronne de quatre tours pour une localité minuscule... le tout à l'avenant).
En ce qui concerne Lisieux, c'était une ville en partie affranchie de la tutelle seigneuriale. L'évêque était le seigneur mais Pierre Cauchon, lui-même évêque, aautorisé la ville à s'ériger en commune, autrement dit en une institution collégiale disposant d'une certaine liberté d'administration. C'était au XVe siècle. D'où l'explication de cette couronne murale. Lisieux venait par ailleurs d'être fortifiée.