jeudi 17 décembre 2015

Une dessin de Lisieux en 1817

L'article que consacre Wikipédia à Lisieux s'est enrichie récemment d'une image ancienne. Elle montre la Grande Rue (aujourd'hui rue Henry Chéron) au début du XIXe siècle. 



Son auteur, l'artiste anglais Henry Edridge a fait deux voyages en France, en 1817 et 1819. Lors du premier, il s'est arrêté à Lisieux et s'est installé aux environs de l'actuelle place des Platanes pour dessiner la Grande Rue de la ville. On devine quelques maisons à pan de bois et les devantures des commerces. La perspective de la rue guide le regard jusqu'à la cathédrale. Les Lexoviennes ont revêtu le costume traditionnel terminé par une coiffe. Dans ce dessin à l'encre brune et au lavis gris et brun, nous sommes surtout intrigués par ces perches surplombant la rue. Elles semblent servir à tendre du linge à moins que ce ne soient plutôt les indices d'une activité artisanale.

En effet, un article de Fernand Rault me met le doute :
"Jusqu'en 1944, on a encore pu voir dans le quartier des coutures de larges lucarnes béantes qui servaient autrefois au séchage des frocs et molletons (étoffes de laine) sur de longues perches appelées pentoirs. Ces perches ne pouvaient dépasser la moitié de la rue et les étoffes qui y étaient étendues ne descendre qu'à 3 toises (6 m environ) du sol. Malgré les inévitables protestations des froctiers, les pentoirs furent supprimés à compter du 1er février 1836. (d'après Fernand Rault, "Rues et places de Lisieux", Le Pays d'Auge, avril 1979, p.9).
Le dessin montre-t-il des pentoirs ? Je n'en suis pas sûr car l'artiste ne dessine pas dans le quartier des Coutures (aujourd'hui le secteur de la place de la République) et on n'observe pas de larges lucarnes béantes.

Par ailleurs, ce court texte laisse sur sa faim. Pourquoi avoir interdit les pentoirs ? Est-ce une question d'esthétisme ? Est-ce parce que les frocs et molletons dégoulinaient d'eau sur les passants ? Je ne sais pas. Mais vous, peut-être...

Le dessin est aujourd'hui conservé au Harvard Museum Art à Boston. Internet nous fait économiser un aller-retour en avion.

dimanche 13 décembre 2015

Des Lexoviens apathiques en 1793

Lisieux qu'on qualifie de ville tranquille a été quelque peu chamboulé par les événements révolutionnaires. Exemple avec l'insurrection fédéraliste.

En 1793, donc en pleine Révolution, une partie de la France se rebelle contre Paris, accusée de tenir en otage l'Assemblée Nationale et de lui dicter ses lois. Les rebelles sont nommés fédéralistes. Lorsqu'une armée fédéraliste arrive à Lisieux pour marcher sur la capitale, la municipalité lui fait bon accueil. Elle partage certainement les griefs des rebelles. Les officiers sont invités à l'hôtel de ville.

Scène de bivouac.


Mais quelques jours plus tard, dès son premier combat, cette armée se débande face aux soldats révolutionnaires. La contre-offensive du gouvernement démarre. Le Comité de salut public envoie trois députés escortés par une armée, en direction de Caen, un des foyers de l'insurrection fédéraliste. Le 29 juillet, les soldats arrivent à Lisieux où ils reçoivent un accueil tiède.

Un journal raconte ce moment : "la joie et le plaisir des habitants étaient si grands qu'ils en paraissaient accablés et n'avaient pas la force d'en faire éclater le moindre signe". Mauvaise foi de l'auteur de l'article ou sens aigu de l'ironie ? 

Pour en savoir plus

L'événement est développé dans Louis du Bois, Histoire de Lisieux. Ville et arrondissement, tome 1, 1845, p.289-292.

vendredi 4 décembre 2015

Lisieux, une ville qui se meurt ?


Pour évaluer le dynamisme d'une ville, l'un des indicateurs les plus faciles est de suivre son évolution démographique. En 1793, Lisieux comptait 10 118 habitants. Selon le dernier recensement (en 2012), les Lexoviens sont aujourd'hui deux fois plus nombreux (21170 habitants). Ce doublement masque une évolution chaotique et un déclassement de la ville.

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Pour une fois dans ce blog, parlons chiffres. Nous allons suivre l'évolution démographique de Lisieux sur plus de deux cents ans, en nous appuyant sur Des villages de Cassini aux communes d'aujourd'hui. Ce site indique la population de toutes les communes de France du premier recensement (en 1793) à nos jours. Quand Lisieux a-t-elle compté le plus d'habitants ? A quel rang se situe-elle par rapport aux autres villes de Normandie ?

Un déclassement relatif

En 1793, Lisieux, avec ses 10 000 habitants environ, est la 8e ville de Normandie, loin derrière Caen et surtout Rouen. Aujourd'hui elle est descendue au 14e rang. En somme, bien que la ville ait doublé sa population, elle a subi un déclassement. 

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On pourrait se lamenter de ce recul hiérarchique mais, à y regarder de plus près, il n'est pas si inquiétant. Comment Lisieux pouvait résister face aux villes-champignons de la banlieue rouennaise (Sotteville-les-Rouen, Saint-Etienne-du-Rouvray, Le Grand-Quevilly, Le Petit-Quevilly) ? Elles ont accueilli l'excédent démographique et économique de Rouen, corsetée dans ses limites communales.

Depuis 1975, Lisieux se bat avec Hérouville-Saint-Clair pour la place honorifique de seconde ville du Calvados. Au dernier recensement, avantage Hérouville-Saint-Clair. Là encore, on a affaire à une ville qui a tiré sa formidable croissance d'une situation heureuse, aux portes d'une grande ville. Hérouville ne comptait que 1800 habitants en 1962, avant que l'Etat n'en fasse une ZUP (Zone à urbaniser en priorité) pour Caen, trop à l'étroit.

Si on exclut ces ville récentes, Lisieux a presque conservé son rang parmi les villes anciennes. Seuls Evreux, Cherbourg et Vernon lui ont damé le pion depuis la Révolution. Mieux, par comparaison aux autres villes du département, l'évolution lexovienne n'apparait pas si déplorable. Avec leurs 10000 habitants environ en 1793, Bayeux et Honfleur rivalisaient avec Lisieux ; aujourd'hui elles sont loin derrière. Enfin, comme le destin de Lisieux semble enviable à celui de Falaise. Cinquième ville de Normandie à la Révolution, la ville de naissance de Guillaume le Conquérant s'est vidé de sa population (- 40%) ; elle avoisine la 50e place aujourd'hui.

Des hauts, des bas et des plats.

Source : Wikipedia. Cliquez sur l'image pour l'agrandir
L'évolution démographique de Lisieux sur les 220 dernières années ressemble au profil d'une étape montagnarde du Tour de France : irrégulière, jusqu'au grand col final. Globalement on a gagné en altitude mais on a connu quelques descentes et de longs secteurs de plat.

De 1793 à 1831, la population stagne grosso modo. Le décollage intervient sur la période 1830-1860 (de 10000 à 13000 habitants) mais cale au recensement de 1866. Puis le dénombrement suivant montre une soudaine explosion (+ 5500 habitants soit 18341 habitants en 1871). Comme si la moitié de la population de Bernay s'installait à Lisieux en l'espace de cinq ans ! J'ai longtemps cru que cette forte poussée urbaine s'expliquait par le développement industriel de la ville. De grandes usines textiles prospèrent en effet à cette époque. Sans mettre de côté ce facteur, je vois une deuxième explication : l'absorption d'une partie de la commune voisine de Saint-Désir. Absorption que je déduis de l'évolution démographique du village : Saint-Désir perd soudainement 1500 habitants entre 1866 et 1871 au moment où Lisieux en gagne brusquement. 

L'embellie démographique se casse en 1881 : Lisieux revient à 16000 habitants. La ville entre dans une longue phase de stagnation. Elle présente toujours 16000 habitants en 1936. En détruisant à 75 % la ville, la Seconde Guerre mondiale provoque un affaissement démographique (12 700 habitants en 1946). Mais, au fur et à mesure de la Reconstruction, Lisieux retrouve son niveau d'avant-guerre. Mieux, elle affiche une croissance spectaculaire et inédite à tel point qu'elle culmine à 25521 habitants en 1975, certainement le plus haut chiffre de son histoire. En moins de trente ans, la ville a doublé sa population. Bien sûr, la fondation de la ZUP d'Hauteville explique ce pic mais n'oublions pas, au préalable, l'absorption en 1960 de la commune de Saint-Jacques de Lisieux. Décidément Lisieux aime croître en croquant partiellement ou entièrement ses voisines. Sur les deux siècles, l'évolution démographique lexovienne est donc en partie artificielle.

Depuis le record de 1975, la population lexovienne décline. On constate la même évolution dans presque toutes les grandes et moyennes villes de Normandie. Même Hérouville-Saint-Clair la subit depuis 1990. Les Normands préfèrent habiter en banlieue ou dans les campagnes péri-urbaines. La baisse est tout de même inquiétante à Lisieux car elle est forte (-17 % depuis 1975) et n'est pas compensée par une croissance des communes limitrophes (Saint-Désir, Beuvillers, Saint-Martin de la Lieue). Bref, l'agglomération de Lisieux s'affaiblit.