dimanche 5 juin 2016

Témoignage sur Lisieux pendant la Première Guerre mondiale

Jean Gaument, professeur au lycée Gambier, a tenu un journal de guerre de 1914 à 1918. Ce manuscrit, actuellement analysé par des lycéens normands, est une source inédite et rare sur Lisieux.


Portrait de Jean Gaument par Marie Ritleng (vers 1920). Cliquez sur l'image pour l'agrandir

Le vendredi 20 mai, Nathalie Verstraete, professeur d’histoire-géographie à Pont-Audemer, présentait devant la Société historique de Lisieux le travail qu’elle conduit depuis deux ans avec sa classe sur le journal de Jean Gaument. Le manuscrit, déposé à la Bibliothèque municipale de Rouen, a été proposé à différents lycées pour être transcrit puis analysé. Un projet pédagogique à mes yeux méritoire. D’un côté, la bibliothèque met en valeur un élément de son fonds patrimonial, qui aurait pu dormir éternellement dans leur réserve ; de l’autre, des adolescents s’initient à la recherche historique en décryptant les écrits d’un contemporain de la Première Guerre mondiale.


Les Lexoviens tirent profit de ce partenariat puisque Jean Gaument (1879-1931), en tant que professeur de français au lycée Gambier, parle beaucoup de Lisieux. De santé fragile et donc réformé, cet homme vit toute la Grande Guerre à l’arrière. De 1914 à 1916, date de son départ pour Elbeuf, il couche sur papier ses impressions sur le conflit, mais aussi sur les Lexoviens.

Selon ses mots, Lisieux est « une petite ville proche et loin du front à la fois ». Même si les combats font rage à plus de 150 km, la population lexovienne n’échappe pas à leurs ravages. De sa fenêtre, Jean Gaument voit arriver des trains de blessés qui seront répartis vers les hôpitaux de la Côte fleurie ou installé à Lisieux même. Un hôpital militaire s’installe en effet dans les locaux de la communauté de la Providence, rue du docteur Degrenne. Tous les matins, le régiment d’infanterie du 119e sort de la caserne Delaunay et descend au pas la rue Henry-Chéron. En plus des blessés qui reviennent du front et des soldats qui vont bientôt y partir, Lisieux accueille des réfugiés. Notamment des Belges fuyant leur pays envahi par l’armée du Reich. La femme de Jean Gaument se dévoue pour ces malheureux. Engagée dans la Croix rouge, elle frappe ou sonne aux portes des Lexoviens afin de recueillir leurs dons de vêtements.

Le journal de guerre de Jean Gaument, présenté de manière interactive grâce au logiciel DocExplore. A gauche, le feuillet, à droite la transcription. Cliquez sur l'image pour l'agrandir
Pendant ce temps, Jean Gaument s’interroge, tiraillé entre son pacifisme et son patriotisme, soulagé d’échapper à la boucherie des tranchées, mais mal à aise sous le regard suspicieux des Lexoviens. Pourquoi cet homme de 35 ans ne combat-il pas sur le front ? Alors, dès la sortie du lycée, l’embusqué Gaument presse le pas pour se réfugier chez lui où il livre ses pensées sur des feuillets. Il y fustige l’incorrection des soldats stationnés dans la ville — certains déambulent ivres le soir. Il relève les non-dits et les discours faussement optimistes de la propagande officielle. Ses voisins le dégoûtent, parce qu’ils se plaignent de manquer de charbon alors que la jeunesse de France sacrifie sa vie sur le champ de bataille.

Ce journal critique, Jean Gaument n’envisageait probablement pas de le publier. Pourtant, une fois leur analyse complète par les lycéens normands, les 878 feuillets manuscrits devraient devenir un livre. Cent ans exactement après la rédaction de ses dernières lignes.