samedi 14 octobre 2017

La Reconstruction à Lisieux : une architecture mal aimée

Sortie ruinée de la guerre, Lisieux renaît de ses cendres à partir de l’année 1948. Encore aujourd’hui, la ville reconstruite ne cesse de susciter l’incompréhension ou la moue de ses habitants. Pourquoi a-t-on rebâti ainsi ? Quels sont les principes que les architectes et urbanistes ont appliqués ? 

Pour le savoir, j’ai assisté le 13 octobre 2017 à la conférence de Patrice Gourbin sur « L’architecture et l’urbanisme de la reconstruction à Lisieux ». Ce professeur à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Normandie connaissait bien le sujet.

Des Suédoises, des Finlandaises et des Américaines  


Construit entre la rue d'Orival et la rue Fournet, le quartier des Quatre-Sonnettes obéit à des principes urbains originaux
  Comme un pied de nez, Patrice Gourbin commença par parler d'une indéniable réussite de la Reconstruction lexovienne : le méconnu quartier des Quatre-Sonnettes. Cette cité-jardin, constituée de maisons sans étage et sans prétention, se distingue d'abord par sa quiétude. C'est un îlot de tranquillité dans la ville. Le quartier surprend aussi par son urbanisme révolutionnaire : les maisons sont en retrait de la rue, derrière une pelouse dépourvue de clôture. D'où une impression d'ouverture.

Le quartier des Quatre-Sonnettes est l’un des premiers secteurs construits après-guerre. Au sens strict, nous ne pouvons pas l'intégrer dans la Reconstruction puisque la zone n’était pas urbanisée avant. 

À la même époque s’élevaient des baraquements provisoires pour accueillir les sinistrés, les ouvriers et les cadres de la Reconstruction. Parmi ces maisons éphémères, les Lexoviens connaissent bien les Suédoises offertes par la Suède, et finalement conservées jusqu’à nos jours. Le conférencier évoqua des exemples moins connus comme les Finlandaises et les Américaines. Ces dernières, installées sur le plateau Saint-Jacques (secteur actuel des dépendances de l’hôpital), se montaient en 2 jours seulement ! Il suffisait de deux hommes simplement armés de clous et de marteaux. 


Et si on repartait de zéro ?

Avant de commencer les premiers travaux, l’État attend un plan d’urbanisme. Plusieurs propositions lui furent soumises. Certaines remodelaient complètement la ville. Car, dans l’esprit de certains architectes ou conseillers municipaux, Lisieux était tellement en ruines qu’elle offrait l’occasion d’un réaménagement intégral, quitte à détruire des secteurs épargnés par le désastre des bombardements. Nouvelle trame de rue, repositionnement des zones industrielles ou des bâtiments administratifs, ces plans allaient rendre la ville totalement méconnaissable.

Le premier plan tracé par Robert Camelot, l’architecte en chef et l’urbaniste de Lisieux, prévoyait par exemple de reconstruire la mairie, jugée trop étroite. Elle devait être réimplantée dans l’axe de la rue des Mathurins, à l’emplacement actuel du Centre des Finances publiques.

Mais le temps pressait et l’argent manquait. On vit moins grand et on abandonna certaines idées tracées sur le papier.


La première reconstruction

Dès 1948-1949, les premiers immeubles de la Reconstruction s’élèvent en centre-ville ou sur les boulevards. Finies les maisons à pan de bois. Les Lexoviens voient s’édifier à leur stupeur une ville radicalement différente : des bâtiments en béton, en brique et des toits en ardoise. Lisieux a changé de couleurs. Le parcellaire est aussi modifié. Seul le tracé des rues reste de l’ancienne ville.

Un immeuble rue du Carmel. Notez sa bichromie. Plus on on monte, plus les lits de briques supplantent les assises de pierre. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.


En dépit de leurs protestations, l’association de sinistrés, à qui est confiée la maîtrise d’ouvrage, doit suivre le cadre fixé par le ministère de la Reconstruction. Obsédé par la planification, l’État entend faire respecter un urbanisme et une architecture cohérents à l’échelle de la ville.


Du vraiment moderne : le tournant de 1950

Cette cohérence échoue, car, en plein chantier, Robert Camelot, l’architecte en chef, revoit sa copie. Inspiré par Le Corbusier, il envisage désormais pour Lisieux un urbanisme plus ouvert. Et encore plus déstabilisant pour les Lexoviens... Concrètement, il s’agit d’en finir avec ces rues (comme la rue au Char) bordées d’une succession d’immeubles mitoyens. Dans son idéal, Camelot imagine des barres d'habitation au milieu de vastes espaces verts ou de parkings. Encore une fois, ce projet sera amendé sans renoncer totalement au nouvel esprit.

En se promenant dans la ville, on repère assez bien la différence entre ces deux phases de la Reconstruction. 
L'avenue Victor-Hugo, côté nord, un témoin de la première Reconstruction au vu de ses façades continues. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Immeuble boulevard Pasteur, œuvre de la 2e période de reconstruction. L'immeuble est isolé au milieu d'un espace vert et d'un parking. Il est disposé en épi par rapport au boulevard. Son pied est entouré d'une "galette" de commerces. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.


Une Reconstruction ratée ?

D’un point de vue esthétique, je ne suis pas séduit par les choix architecturaux à Lisieux, en comparaison d’autres villes sinistrées comme Caen, Falaise ou Évreux. Cependant, à force de marcher dans ses rues, je me rends compte que la Reconstruction n’est pas si inintéressante. Je remarque les détails qui rendent unique chaque immeuble : la forme des fenêtres et des toits, le choix et la disposition des matériaux, l’incorporation de blocs plus ouvragés... Je m’amuse à différencier les bâtiments de la première et de la seconde Reconstruction. Une fois décapées de leur couche de pollution, les façades associant briques et pierres ne me semblent pas si laides. Faut-il prendre le temps de regarder les choses pour les apprécier ? 

Une façade de l'avenue Victor Hugo apparemment banale. Et pourtant, regardez les lignes sinusoïdales du garde-corps, les fenêtres aux curieuses divisions, les frontons inversés sous le garde-corps, les trous de briques sous la corniche...  Cliquez sur l'image pour l'agrandir.