mardi 23 février 2016

Lisieux au XIXe siècle : les maires et la mortalité

Il y a  plusieurs angles pour aborder l'histoire de Lisieux au XIXe siècle : on peut parler de l'industrialisation, de la modernisation (arrivée du chemin de fer, du gaz de ville puis de l'électricité...), des turbulences de la vie politique mais ma récente lecture d'un livre La ville contemporaine jusqu'à la Seconde Guerre mondiale suggère des thèmes moins communs.

Lisieux ville mortifère ?

Vous connaissez le slogan actuelle de la ville de Lisieux ? "Une ville à vivre". Au XIXe siècle était-elle une ville à mourir ? A cette époque, les populations urbaines étaient frappées par des maladies particulières, notamment le choléra mais aussi la tuberculose, la typhoïde, la grippe... Des épidémies d'autant plus effrayantes que l'on n'avait à l'époque aucun moyen de les guérir. A Rouen, dans les années 1870, quatre enfants sur 10 n'atteignaient pas l'âge d'un an. Je reste stupéfait par un tel chiffre.

L'impératrice Eugénie visite les cholériques de l'hôtel-dieu de Paris (Paul Félix Guéry, Château de Compiègne)


Quelle était la situation à Lisieux ? Entre 1800 et 1850, la ville gagne assez peu d'habitants (de 10000 à 11 754 habitants, selon Wikipedia). Est-ce à cause d'une trop forte mortalité ? La cité n'échappe pas aux épidémies. En 1824, le choléra fait 317 morts. Dans les années 1860-1870, la Révolution industrielle touche Lisieux ; les industries s'élèvent ; hommes, femmes, enfants deviennent ouvriers. Tout de suite, viennent à l'esprit les images de Germinal : misère, hygiène déplorable, logement insalubre, alcoolisme. La mortalité s'en est-elle ressentie ?

Des maires de second plan

Au XIXe siècle, être maire d'une ville était un poste ingrat, encore davantage qu'aujourd'hui. La première autorité de la ville n'était pas élue mais nommée par le pouvoir (roi, empereur). Le préfet ou le sous-préfet surveillaient ses actes. Le maire ne touchait pas d'indemnité. C'était donc un poste bénévole. Si bien que les candidats à la mairie ne se bousculaient pas. Les personnalités locales préféraient devenir député et laissaient l'écharpe bleu-blanc-rouge à des seconds couteaux.

Caricature de François Guizot, par Daumier
(musée d'Orsay, 1833)
L'exemple lexovien semble le prouver. François Guizot, la grande personnalité locale, ministre à plusieurs reprises du roi Louis-Philippe, ne fut jamais maire. Les industriels du textile, grandes figures lexoviennes du XIXe siècle, bridèrent rarement la fonction. Jean-Lambert Fournet, propriétaire de l'établissement d'Orival (site de l'ancienne usine Wonder) fut nommé en 1847 dans des circonstances tendues : les ouvriers s'étaient révoltés contre la cherté du pain ; le précédent maire Adrien Formeville avait démissionné. Jean Lambert Fournet ne reste qu'un an. Il faut attendre plus de trente ans pour voir un autre industriel à l'hôtel de ville, Théodore Peulevey (1881-1894).

Et Henry Chéron ? Élu maire en 1894, voilà enfin une forte personnalité à la tête de la ville mais son exemple n'est pas convainquant car son ascension est postérieure à son mandat local. Dès qu'il accède à des responsabilités politiques nationales, en 1906, il renonce à la mairie. Il revient toutefois dans sa ville, à la fin de sa carrière mais c'est une autre époque. 

mardi 2 février 2016

La tour Saint-Anne est à vendre

Cette mise en vente d'un élément du patrimoine lexovien est l'occasion de revenir sur les fortifications de la ville de Lisieux, construites à la fin du Moyen Âge. Car la tour Sainte-Anne en est le vestige le plus visible.

La tour Sainte-Anne se situe au niveau du rond-point André Carles (combien de Lexoviens savent le nom de ce rond-point ?). Si vous préférez, elle se trouve à quelques pas du commissariat. Pour "raison personnelle", son propriétaire a décidé de vendre ce rare vestige de l'ancienne muraille qui protégeait Lisieux du XVe au XVIIIe siècle. A cette occasion, une journaliste du Pays d'Auge m'a interviewé au téléphone pour que je lui donne quelques informations historiques. L'article est paru le 29 janvier 2016 (en voici une version partielle sans mon intervention qui se trouvait dans un encadré, non reproduit ici).
La tour Sainte-Anne est en pierre ; le dernier étage, ajouté au XVIIe, est en colombages
 J'ai décidé de revenir sur ce fait car l'article comporte plusieurs erreurs dont la responsabilité me revient en partie. Je remets donc les choses au clair et à l'endroit.

Un chantier financé par les Lexoviens, sous l’œil des Anglais


Oui, la fortification remonte au XVe siècle, à l'époque de la guerre de Cent Ans entre Anglais et Français. Lisieux était alors une cité quasiment sans défense. Il y a avait bien un "Fort l'Evêque" mais il ne protégeait que la cathédrale et le manoir épiscopal.

Contrairement à ce que j'ai affirmé dans l'article, le roi d'Angleterre Edouard III n'a pas incendié la ville en 1346. Il l'a évité. Quoi qu'il en soit, la guerre contre l'Angleterre et les conflits internes au royaume rendaient nécessaires la construction d'une fortification qui protégerait les Lexoviens contre les soldats ou les brigands.

La chantier a commencé à une date incertaine. En tout cas, en 1407, l'évêque Guillaume d'Estouteville avait décidé sa construction. Quand les Anglais débarquent à Touques et s'emparent de toute la Normandie en 1417-1419, la muraille n'était qu'"ébauchée" selon l'historien François Neveux. Les travaux se prolongent donc pendant l'occupation anglaise. Mais, toujours contrairement à ce qui est dit dans l'article, les Anglais ne financent pas l'édification. Ce sont les Lexoviens qui sont taxés. Bien que les travaux avancent vite pendant l'occupation anglaise, ils ne sont pas terminés lorsque l'armée du roi de France Charles VII arrive devant Lisieux pour reprendre la ville en 1449. De toute façon, l'évêque, Thomas Basin, ne compte pas résister : il négocie la reddition de la ville à bon compte.

La fortification est probablement bouclée avant la fin du XVe siècle. La tour Sainte-Anne date sûrement de ce siècle. La journaliste du Pays d'Auge indique que c'est une porte. Non, c'est simplement une des tours qui flanquaient à intervalle régulier les remparts. Les portes, au nombre de 4 (et non 11), se trouvaient ailleurs. Le tracé des murailles, plus exactement le tracé des fossés, reproduit grosso modo la ceinture de boulevards qui entoure aujourd'hui le centre-ville (boulevard Jeanne d'Arc, boulevard Saint-Anne, boulevard Carnot, et le bien nommé quai des remparts).


Plan approximatif des remparts. Voir en plein écran

Lisieux se libère de ses fortifications


A la lecture de l'article, je constate que je me suis fait mal comprendre sur la disparition de cette fortification. Le sujet est, je le concède, difficile pour une journaliste qui travaille depuis peu à Lisieux. J'aurais dû être plus clair ou répéter. Nommé à Lisieux en 1676, l'évêque Léonor II de Matignon fait donner les premiers coups de pioche. Il a besoin d'agrandir ses jardins - l'actuel jardin public en est une relique - et le rempart lui bouche la perspective de son palais. Les habitants se plaignent de cette brèche dans le dispositif de fortification puis, ils s'en accommodent. En effet, le spectre des invasions anglaises s'évanouit. La guerre se fait désormais aux frontières du royaume de France. Ça fait plusieurs générations que les Lexoviens n'ont pas entendu le moindre coup de canon ennemi. De plus ce rempart corsète le développement démographique et économique de Lisieux. Bref, il gêne et ne sert plus à grand chose. Le démantèlement des remparts et le remplissage des fossés commencent avant la Révolution. Je pense, à vérifier, qu'en 1820, il ne reste presque plus de tours et de murs (voir ce plan sur la site de la bibliothèque électronique de Lisieux). Aujourd'hui, à ma connaissance, subsistent la tour Sainte-Anne, la tour Lambert (quai des remparts) et des éléments de la porte de Caen (au bas de la rue Henry Chéron).

Voici ce que j'aurais aimé dire au téléphone à la presse. Merci à la journaliste du Pays d'Auge, Aurore Coué, de m'avoir interrogé sur le sujet en dépit de nos incompréhensions et de mes erreurs. Le sujet me passionne. D'ailleurs un chapitre de mon livre sera consacré aux fortifications de Lisieux et à l'occupation anglaise mais il n'est pas encore rédigé.