mardi 20 décembre 2016

Et Lisieux redevient française

Bien avant les Allemands dans les années 1940, Lisieux fut occupée par les Anglais. Et l'occupation dura bien plus longtemps : 32 ans. Au matin du 16 août 1449, une armée française se présente sous les murs de la ville. La libération de Lisieux est en jeu. 
 
Le siège du Mans par les Français en 1448. Extrait du manuscrit Martial d'Auvergne, Vigiles de Charles VII, 1484, BNF
Du haut des remparts, les Anglais aperçoivent l’adversaire. C’est l’armée chargée par le roi Charles VII de la reconquête complète de la Normandie. Elle vient de prendre Verneuil-sur-Avre, Pont-Audemer et Pont-l’Évêque. À sa tête, on trouve un compagnon de Jeanne d’Arc, Jean, comte de Dunois dit le « Bâtard d’Orléans ». À ses côtés, les comtes d’Eu et de Saint-Pol et plusieurs milliers de chevaliers, d’archers et de soldats à pied. Parmi les Anglais, un homme vêtu d’une robe regarde avec inquiétude cette impressionnante troupe. Il s’agit de Thomas Basin. Depuis deux ans, ce Normand est évêque de Lisieux. De son attitude, va dépendre le sort de sa cité épiscopale.

Monté à cheval, Basin sort de la ville pour parlementer avec les capitaines français. Quelques chanoines l’accompagnent. L’évêque de Lisieux demande au Bâtard d’Orléans d’épargner sa ville, inoffensif domaine d’Église, et donc de porter son armée ailleurs. L’argument, faible, ne convainc pas. Le Bâtard d’Orléans tranche : soit Lisieux se rend immédiatement, soit elle subira un assaut. Basin obtient une trêve de quelques heures, le temps d’en discuter avec les habitants de Lisieux.

Revenu en ville, l’évêque convoque en urgence une assemblée des principaux Lexoviens à laquelle se joignent les chefs de la garnison anglaise. Que faut-il faire ? Résister ou se soumettre ? On aurait aimé être une petite souris pour entendre les arguments du débat. Mais les positions de chacun se devinent. D’un côté, Thomas Basin a beau être un fidèle des Anglais, il sent bien que le vent tourne. Depuis vingt ans, les Anglais ne cessent de perdre du terrain. Quant aux habitants, ils attendent sûrement une capitulation qui les préserverait d’un assaut meurtrier et destructeur. Enfin, les chefs anglais sont certainement partagés entre la fidélité à leur roi Henri VI et la peur face à un assiégeant si puissant.

Après avoir écouté les différents avis, Thomas Basin se met au travail. Il rédige un document de plusieurs pages qu’il fait envoyer immédiatement aux capitaines français. Dans ce texte, Lisieux capitule. L’article 1 précise que « toutes personne de présent estant en ladicte ville et cité, de quelque estat, nation ou condition qu’ilz soient, auront leurs corps, vies et biens sauves ». La garnison anglaise et les Français qui leur sont restés fidèles doivent quitter la ville avant trois jours. Les assiégeants français s’engagent à ne pas sanctionner la population ou certains individus et à prendre possession de la cité sans désordre, ni violence. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soit même, l’évêque de Lisieux ajoute une clause où il se confirme dans sa fonction d’évêque et de comte de Lisieux. Jugeant les conditions acceptables, les capitaines français signent cette convention de capitulation.
La reddition de Lisieux. Un bourgeois accompagné de l'évêque de Lisieux remet les clefs de la ville aux capitaines français. Martial d'Auvergne, Vigiles de Charles VII, 1484, BNF
 
Dès le lendemain, le dimanche 17 août 1449, le pont-levis de la porte de Paris est abaissé : les troupes de Charles VII entrent dans Lisieux. Les capitaines se rendent à la cathédrale pour prier. « Noël, Noël », clame le peuple au passage des chefs et de l’évêque de Lisieux. Noël parce que c’est le cri de réjouissance publique au Moyen Âge. Thomas Basin peut se féliciter de sa négociation. Sa ville et ses habitants sont épargnés ; lui-même conserve son siège épiscopal. Après 32 ans de domination anglaise, Lisieux retourne dans l’obédience française sans heurts, sans règlements de comptes. Durant cette journée festive de libération, les moins satisfaits sont peut-être les soldats français qui défilent. À regarder les belles maisons à pan de bois et les faces réjouies des bourgeois, ils se désolent sûrement d’être privés du pillage qui conclut habituellement la prise d’assaut d’une ville.

vendredi 9 décembre 2016

Henry Chéron vous accueille




Lors de l’inauguration de l’hôpital moderne en 1971, le député-maire de Lisieux Robert Bisson prononce un discours dans lequel il ironise sur la dernière volonté de son prédécesseur : « M. Henry Chéron avait dédié son cœur à l’hôpital. Et l’urne qui le contient est insérée dans la colonne qui soutient son buste… Je dois dire que personnellement, je n’ai pas pris de telles dispositions testamentaires ». On imagine les sourires dans le public.

Voyons justement ce buste et cette colonne. Franchissez l’entrée principale du centre hospitalier. Immédiatement sur votre gauche, un visage barbu, perché à plus de deux mètres, vous accueille. Vous ne l’aviez pas remarqué ? Moi aussi jusqu'à peu. Depuis 1936, l’année de la mort d’Henry Chéron, le monument trône pourtant. Tournez autour. À l’arrière du support en granit, une plaque indique : « ici sur son désir repose le cœur d’Henry Chéron ». À la suite de Robert Bisson, on peut trouver bizarre de se faire ériger une statue et d’y placer son organe le plus précieux. Ça me rappelle les rois de France qui, en prévision de leur mort, accordaient les parties de leur corps à différentes églises. L’abbaye Saint-Denis recueillait généralement la dépouille, tel couvent recevait le cœur, telle église les entrailles. 

Toutefois, dans le buste de l’hôpital, mon plus grand étonnement touche au portrait du défunt. J’ai l’impression que le sculpteur François Cogné (1876-1952) a représenté le maire de Lisieux en consul de la Rome antique. Une toge cache une poitrine largement dénudée. Je ne sais pas de qui vient cette idée anachronique, du sculpteur ou d’Henry Chéron lui-même, juste avant sa mort. En tout cas, elle donne une image un peu pompeuse de l’ancien premier magistrat.
Henry Chéron, premier consul de Lisieux ? Cliquez sur l’image pour l’agrandir

Moins surprenant est le choix de l’emplacement du monument commémoratif. Le buste en bronze regarde vers l’hôpital. Entre 1902 et 1905, Henry Chéron l’a reconstruit et étendu. Bien sûr, il ne s’agit pas de l’imposant bâtiment actuel, mais du précédent. En 1908, sur proposition de la commission administrative hospitalière, le conseil municipal valide le nouveau nom de l’établissement : « hôpital Henry Chéron ». Ironie de l’histoire, dans les années 1990, le centre hospitalier moderne est baptisé en l’honneur de Robert Bisson, l’homme qui se moquait des dispositions testamentaires d’Henry Chéron.