La crosse épiscopale de Lisieux (fin du XIIe siècle) au musée du Louvre. |
Un incroyable coup de chance de l'avoir repérée parmi les dizaines de milliers d'objets exposés dans ce gigantesque musée (16 km de galeries, s'il vous plait). Sûr que je dois développer un sixième sens qui me permet de repérer le mot "Lisieux" au premier coup d’œil sur les cartels du Louvre, ces minuscules plaquettes qui servent à légender une œuvre.
Voici ce qu'écrit ce cartel :
Crosse, fin du XIIe siècle, trouvée à Saint-Pierre de Lisieux, bronze et nielle, Ancienne collection Boy, Pallambré, Bardac, Chappée. Acquisition 1955. Département des Objets d'art.Une légende qui laisse un peu sur sa fin : C'est quoi le nielle ? Quand la crosse a-t-elle été retrouvée ? Qu'est-ce que représente cet objet en bronze ? A qui appartenait-il ?
La dernière question semble la plus facile à répondre. La crosse est l'insigne attachée aux évêques et aux abbés. Retrouvé dans la cathédrale Saint-Pierre, l'objet conservé au Louvre appartenait certainement à un évêque de Lisieux. A moins qu'il faisait partie d'un reliquaire ou d'une statue exposée dans l'église. C'est toutefois peu probable. Il est plus tentant d'y voir un objet retrouvé dans un cercueil épiscopal. Peut-être celui de Raoul de Varneville, évêque de Lisieux jusqu'en 1193 ou de Guillaume de Rupierre, mort en 1201. Probablement pas Arnoul, le bâtisseur de la cathédrale gothique, mort en 1182. En froid avec les chanoines lexoviens, le prélat est décédé au monastère Saint-Victor de Paris. J'imagine difficilement son corps renvoyé à Lisieux.
Un chef-d’œuvre d'orfèvrerie
Le cartel parle donc d'une crosse. Je parlerai plutôt d'un crosseron (il s'agit en effet de la partie supérieure de la crosse, il manque la hampe). Bon, je chipote. La crosse ou le crosseron a une forme de spirale, de volute exactement. Au XIIe siècle, c'est classique mais auparavant les crosses pouvaient être en forme de T ou simplement recourbées comme les anciennes cannes en bois.
Pas besoin d'être docteur en histoire de l'art pour comprendre que la crosse exposée au musée du Louvre est un chef-d’œuvre. Elle est en bronze (on connait aussi des exemples luxueux en cuivre ou en ivoire). La spirale du crosseron se transforme en rinceaux. Ce motif végétal, composé de feuilles et tiges qui s'enroulent ou s'entrelacent, rappelle les enluminures des manuscrits et les chapiteaux romans. L'orfèvre s'est appliqué jusqu'à représenter avec précision des glands. A cette époque, les artistes se contentaient souvent de styliser les végétaux mais, dans le cas lexovien, aussi bien les feuilles que les fruits sont représentés avec réalisme. Avez-vous aussi remarqué les motifs géométriques qui parcourent la partie verticale ? Je pense que cette fine décoration losangée est la partie en nielle que décrivait le cartel. D'après Wiktionnaire, le nielle est en effet une "inscrustation décorative d'un sulfure d'argent noir dans les gravures d'un métal précieux".
Reste à savoir comment la crosse s'est retrouvée en main privée (les collectionneurs Boy, Pallambré, Bardac, Chappée, indiqués sur le cartel) avant d'être acquis par le musée du Louvre en 1955. Pillage ? Fouilles archéologiques ? Au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, des érudits locaux ne se sont pas gênés pour ouvrir des cercueils dans la cathédrale. C'est ainsi qu'on a retrouvé la tombe du plus célèbre évêque de Lisieux, Pierre Cauchon. Sa crosse était conservée quasiment intacte à l'intérieur. On ne la vola pas, on ne la revendit pas. On la transporta au musée de Lisieux. Mais les bombardements de 1944 ont fait volé en éclat la précieuse relique. Alors qu'importe l'origine, douteuse, de la crosse du Louvre, au moins celle-ci a résisté au temps et aux accidents de l'histoire.
Voir la fiche et la photo de la crosse sur le site du musée du Louvre
PS : Après recherche, je me suis rendu compte que j'ai raté un autre objet lexovien au musée du Louvre : une statue-applique de l'époque gallo-romaine. Mon 6e sens est en rodage !
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