Ce Lexovien, contemporain de Louis XIV, est l’un des premiers grands missionnaires français. Pour évoquer sa vie et son œuvre, je vais essayer de me glisser dans sa peau et d’imaginer ses paroles. Le témoignage suivant est donc totalement fictif même si je m’appuie sur des faits avérés et des documents d’époque. Asseyez-vous confortablement, bouclez votre ceinture, nous partons pour l’Indochine.
Un livre, publié en 2006, est consacré à Pierre Lambert de la Motte |
Ayutthaya est une grande ville ceinturée par les bras du fleuve Menan [aujourd’hui Chao Phraya]. Dans l’eau veillent des crocodiles. À la saison des pluies, la campagne alentour ressemble davantage à un marais qu’à des terres labourées par la charrue. Le peuple cultive principalement du riz, lequel croit les pieds dans l’eau. Les natifs se reconnaissent à leur teint olivâtre ; ils sont doux et affables à notre égard. Mais s’y côtoie une multitude d’autres nations : les Portugais, les Japonais, les Malais et nous, les Français. Les temples que les Portugais appellent pagode sont couverts d’or à l’extérieur. Les membres du clergé local se remarquent à leur habit jaune cerclé d’une écharpe rouge [ce sont les bonzes bouddhistes]. J’avoue avoir du mal à saisir leur religion. Ils ne prient pas de dieux, n’envisagent pas un au-delà. Leur espérance se limite à la réincarnation sous la forme d’un homme riche et puissant, voire d’un animal. Par crainte de donner la mort à un ancêtre réincarné, ils rechignent à tuer les bêtes.
Les ruines d'Ayuthia, capitale du royaume de Siam (cliquez sur l'image pour l'agrandir) |
J’ai finalement pu me rendre en Cochinchine, mais aussi au Tonkin [nord du Viêt Nam]. À la différence de Phra Narai, les rois et les gouverneurs voisins sont plutôt hostiles aux chrétiens. J’ai tout de même pu visiter les communautés déjà existantes. Une Église locale s’ébauche. Par contre, les missionnaires que j’ai envoyés au Laos ne sont jamais revenus. Assassinés. Paix à leur âme. Mais, à mon désespoir, nos pires ennemis se cachent chez nos propres coreligionnaires : les Portugais, les Jésuites, les Dominicains. Avant mon arrivée, c’étaient eux qui étaient chargés de l’évangélisation du pays. Aujourd’hui, ils refusent de se soumettre à mon autorité malgré les lettres du Très Saint Père que je leur présente. Les Portugais ont essayé de me capturer pour m’expulser d’Asie. Je me demande si les fièvres qui me tourmentent depuis quelques mois ne sont pas la conséquence d’un empoisonnement. Quelques-uns de mes compagnons sont déjà morts ainsi, victimes de la jalousie de ces mauvais chrétiens.
Je dois arrêter là mon récit. Le roi me réclame. J’en devine la raison. Depuis quelque temps, Phra Narai envisage d’envoyer une ambassade auprès de Sa Majesté [Louis XIV] et il compte bien que j’en fasse partie. Revenir en France ? Je ne m’en sens plus la force ; tant de choses restent encore à faire ici. »
L’idée de cet article m’est venue à la vue de cette plaque accrochée, rue au Char à Lisieux.
L'immeuble sur lequel est posée la plaque en l'honneur de Mgr Lambert de la Motte, rue au Char (cliquez sur l'image pour l'agrandir). On la voit derrière l'enseigne "musique". |
Le récit précédent s’appuie notamment sur un article Wikipédia long comme le bras et consacré à notre Lexovien. Les descriptions de la ville d’Ayutthaya sont inspirées d’un plan et d’une carte, dessinées vers 1687, donc peu après la mort de Pierre Lambert de la Motte. Notre personnage n’est finalement pas retourné en France. Une maladie le terrasse à Ayutthia en 1679, mais le roi de Siam Phra Narai (1657-1688) a effectivement envoyé une première ambassade en 1681, qui s’abîma en mer, et une seconde en 1684, que Louis XIV reçut fastueusement.
Les ambassadeurs de Siam reçus par Louis XIV, en 1684. Gravure de Sébastien Le Clerc, L'Ancien. Musée de Versailles. Cliquez sur l'image pour l'agrandir |
Membre de la Société historique de Lisieux, Raymond Raveaux m'a fait découvrir un livre complet consacré à ce personnage : Henri de Frondeville, Un prélat normand évangélisateur et précurseur de l'influence française en Extrême-Orient : Pierre Lambert de la Motte, évêque de Béryte (1624-1679), Paris, éditions "Spes", (s. d.). Il est conservé dans les locaux de la société. Cet article a été rédigé avant la découverte de ce livre.
RépondreSupprimer