lundi 4 mai 2015

Ecrire l'histoire d'une ville : sortir du singulier pour décrire le banal

Dans La ville contemporaine jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Jean-Luc Pinol et François Walter dénoncent le travers des monographies d'histoire urbaine : elles racontent ce qui s'y est passé de remarquable. L'historien se consacre à retracer les heures glorieuses et pénibles de sa cité. C'est typiquement la perspective envisagée par Louis du Bois, le premier auteur d'une Histoire de Lisieux, en 1845. Par exemple, lisons ce qu'il écrit p.146 du tome 1 :
1519 : 16 mars. Orages et ouragans qui renversent sur le territoire lexovien un grand nombre d'édifices et d'arbres
1521 : 30 juin. On fait à Lisieux des processions générales, on y porte des reliques et surtout la châsse de saint Ursin qui, depuis cinquante-deux ans, n'avait été ni ouverte ni descendue. Les mauvais temps, des maladies épidémiques, que dans ces temps on qualifiait du nom effrayant de peste, et la grande cherté du blé, sont les motifs de ces actes de dévotion.
1524. Julien Drouet, qui avait volé une bourse dans une église de la ville, fut livré à la torture par le sénéchal du chapitre dont le jugement fut confirmé par le parlement de Normandie le 30 juillet. Le coupable fut condamné à être fustigé dans [pendant] trois  jours de marché, le troisième [jour] à avoir une oreille coupée, à être banni la corde au col hors du royaume, avec confiscation de ses biens.[...]
Personnages dans une tempête, par Simon Fokke, (XVIIIe siècle), Rijksmuseum.
1531 : 13 mars. Le dauphin (François, mort en 1536), [c'est-à-dire le fils du roi de France]) fait son entrée à Lisieux. L'évêque Le Veneur le reçoit à la porte de la cathédrale, assisté de son clergé. Le prince suivit une partie des fossés de la ville et se rendit au château des Loges [la résidence de plaisance des évêque de Lisieux], accompagnés de plusieurs seigneurs de sa suite, tels que le comte de Saint-Paul et les cardinaux de Lorraine et de Vendôme.  

A première vue, ce recensement des faits mémorables n'a pas à soulever d'objection. On parle bien de ce qui se passe dans la ville et, en prime, c'est divertissant à lire. Mais j'ai la curieuse impression de lire un magazine de presse à sensation : s'enchaînent l'évocation de catastrophes naturelles, d'une manifestation religieuse, d'un procès conclu par un châtiment corporel barbare et enfin, la venue d'un prince.

En insistant sur les faits remarquables, sur le singulier, de larges pans de l'histoire lexovienne nous échappent : tout ce qui relève du banal.

Traiter le banal, voilà un projet bizarre pour parler d'une ville. L'auteur qui s'y emploie ne risque-t-il pas d'ennuyer ses lecteurs ? Non, traiter le banal ne signifie pas rapporter des choses ennuyeuses mais raconter le quotidien, ce qui faisait vraiment la vie des Lexoviens. Or, la vie d'un citadin au Moyen Âge ou au XIXe siècle ne manque pas d'intérêt car elle a quelque chose d'exotique pour nos yeux du XXIe siècle. Comment y grandissait-il, s'y déplaçait-il, y travaillait-il, s'y amusait-il,  y mourait-il ? Sans renoncer à une histoire des faits remarquables, je voudrais aussi explorer ce Lisieux du quotidien, la vraie Lisieux.

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