mercredi 27 janvier 2016

De l'art et des armes : l'œuvre d'un Lexovien à Paris

Cet été, j'ai visite le musée de l'armée aux Invalides. La première salle du musée de l'Armée expose à foison des armures et des armes à feu. Trop peut-être. Alors que je traverse la salle d'un œil ennuyé, mon intérêt est réveillé par le cartel d'une vitrine. A l'intérieur, se trouve une arquebuse signée Marin Le Bourgeoys. C'est un Lexovien, mort en 1634, autrefois réputé pour ses talents d'armurier. A quelques mètres, une autre surprise m'attend. Un tableau montrant Henri IV à cheval est signé du même Marin Le Bourgeoys. A la fois fabriquant d'armes et peintre, voilà un bien curieux personnage dont l’œuvre mérite d'être approfondie.

Deux fusils conservés au Musée de l'Armée, signés Marin Bourgeois

Le fabriquant d'armes


Médaille représentant Marin Le Bourgeoys (1633),
Bibliothèque Nationale
Né à Lisieux avant le déclenchement des guerres de religion, Marin Le Bourgeoys (nommé aussi Marin Bourgeois) cumule en fait les compétences les plus diverses : en plus de manier le pinceau et de composer des armes, il est luthier, sculpteur, fabriquant de globes terrestres et célestes. Si magicien de ses doigts qu'il est capable de comprendre le fonctionnement de n'importe quel objet mécanique qu'on lui présente sans besoin d'explication.

Le musée de l'Armée conserve quelques armes fabriquées par Marin Bourgeois ou son atelier (il travaille avec ses frères Jean et Pierre). Sa carrière débute au XVIe siècle, à une époque où se répandent les armes à feu portative sur les champs de bataille. Les arcs et les arbalètes sont rangés au placard. Les arquebuses, les mousquets, les fusils sont plus efficaces : ils transpercent les armures et requièrent un entraînement plus court que celui d'un archer. Par contre, ces armes bruyantes pêchent encore par leur lamentable cadence de tir (une balle toutes les deux minutes) et par leur fonctionnement aléatoire. L'inventeur Marin Bourgeois contribue à diminuer les ratés en mettant au point un nouveau mécanisme de mise à feu : la platine à silex. L'explication est un peu technique mais ne manque pas d'intérêt :
Sur le chien (rep.1) était fixé un morceau de silex (chaque pierre durait une quarantaine de coups). Lors de la pression sur la détente, le silex heurtait fortement la lamelle de fer (rep.2) (appelée batterie) à la surface rugueuse et provoquait une forte étincelle. En se soulevant, la batterie découvrait le bassinet (rep.4) qui renfermait la poudre d'allumage. Un petit trou, appelé lumière, reliant le bassinet au canon permettait d'enflammer la poudre de tir (art. Platine à silex sur Wikipedia).

Platine à silex :1=chien porte-silex ; 2=batterie ; 3=couvre-bassinet ; 4=bassinet. (Nerjip sur Wikipedia)
Le système est plus fiable que l'ancienne mèche. L'invention du génial Lexovien se diffusera à toutes les armées d'Europe et son principe d'allumage au silex, amélioré constamment, restera la norme des armes à feu jusqu'à Waterloo.

Toutefois, les armes de l'atelier Bourgeois exposées aux Invalides n'étaient pas destinées au champ de bataille. Un coup d’œil sur le chien sculpté en forme de dragon, les plaques de fer finement sculptées, la crosse damasquinée, autant d'indices qui attestent plus d'une œuvre d'art que d'un instrument de guerre. Elles ont probablement appartenu à Louis XIII, grand collectionneur. Si ces arquebuses ont tué, ce ne fut pas sur un champ de bataille mais plutôt en forêt, le roi se passionnant pour la chasse.

Le peintre d'Henri IV


L'intérêt artistique de ces armes réduit la distance avec la seconde œuvre attribuée à Marin Bourgeois dans cette même salle du musée de l'Armée. Le portrait équestre de Henri IV, père de Louis XIII, est longtemps resté anonyme avant qu'une restauration ne révèle la signature du peintre. Le roi, portant une armure noire, se tient devant les opérations d'un siège militaire. Dieu sait qu'Henri IV a du batailler pour conquérir sa couronne. Il a du assiéger Lisieux aux mains des Ligueurs, des catholiques qui refusaient d'avoir un souverain protestant. Est-ce Lisieux en arrière plan ? Peu de chance, Henri IV a assiégé bien d'autres places et des plus importantes. L'année de son sacre, en 1594, le roi nomma Marin Bourgeois comme son peintre et valet de chambre. En 1608, le Lexovien reçut le privilège d'être logé au palais du Louvre.

D'après une estimation faite en 2010, le tableau vaudrait entre 120 000 € et 150 000 €. Un prix considérable qui se justifie en partie par le fait que seuls deux tableaux de Marin Bourgeois subsistent au monde. Celui exposé au musée de l'Armée et un fragment de toile représentant une femme casquée. Et cette dernière œuvre est conservée dans sa ville natale, au musée d'art et d'histoire de Lisieux...

En savoir plus : 

dimanche 10 janvier 2016

Thérèse Martin à la TV

Le 4 janvier 2016, France 3 diffusait un documentaire sur la plus célèbre Lexovienne au monde : l'autre Thérèse. La sainte avait-elle une face cachée ?


Il fallait être motivé pour regarder ce documentaire de 52 mn : sa diffusion à 23h30 pouvait en décourager plus d'un, moi le premier, mais heureusement la télévision de rattrapage nous permet aujourd'hui d'échapper à la tyrannie horaire des chaînes de télévision. Vive Pluzz !

Le réalisateur Noël Alpi nous invitait à découvrir l'autre Thérèse, autrement dit une Thérèse différente de celle qui est habituellement décrite. Au final, le portrait dessiné par le documentaire s'est révélé plutôt convenu. Comme les différents intervenants l'ont mis en relief, Thérèse Martin (1873-1897) n'est pas une sainte ordinaire au regard de sa vie très tranquille. Entrée dès l'âge de 15 ans au Carmel de Lisieux, elle resta le restant de sa vie cloîtrée derrière les murs de ce couvent. Celle qui choisit comme nom "Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte-Face" n'a pas fait d'actions merveilleuses qui ont interpellé ses contemporains ; elle n'a pas vu la Vierge comme Bernadette Soubirous. A sa mort, « personne n’aurait jamais pensé qu’elle fut une sainte et qu’elle aurait des vertus héroïques » jugeait Alessandro Verde, le théologien chargé d'argumenter contre sa canonisation.

Sauf que sa sœur Pauline, elle-aussi carmélite de Lisieux, a poussé Thérèse à écrire. Outre ses souvenirs d'enfance, elle a alors couché sur papier sa manière de ressentir sa foi et de la pratiquer. C'est par la plume que Thérèse traça son destin post-mortem. Car peu après le décès de sa sœur benjamine à l'âge de 24 ans, Pauline recueillit les manuscrits, les mit en forme, puis les publia. Une question me vient : Thérèse savait-elle que ses écrits seraient publiés ? Sinon, l'aurait-elle accepté ? Le documentaire n'y répond pas mais il montre par contre le zèle de Pauline et "l'activisme du Carmel" pour diffuser Histoire d'une âme (titre posthume) à un large public. Les lecteurs chrétiens furent séduits par la simplicité du discours, par l'humilité de l'auteur, par sa vision de la foi si bien que l'autobiographie devint un best-seller mondial en une dizaine d'années. Consécration de ce succès littéraire, en 1925, le pape Pie XI canonisa la Lexovienne en qui il voyait "l'étoile de son pontificat".


Donc, pas de surprise dans ce documentaire mais il n'en reste pas moins un travail de bonne qualité. Sobre, il ne verse pas dans la drame afin de nous tirer les larmes des yeux. De multiples spécialistes, notamment des historiens, sont invités à éclairer par leurs commentaires la vie, l’œuvre de Thérèse et le contexte de l'époque. A intervalle régulier, deux jeunes comédiennes lisent des passages de l'Histoire d'une âme. Des carmélites du Havre sont même interviewées (apparemment celles de Lisieux n'ont pas voulu ou pu communiquer). Enfin, cela fait toujours plaisir de voir quelques images de Lisieux à la télévision.