dimanche 4 octobre 2015

Du Chapeau de Vermeer à l'Histoire des grands-parents

Comment raconter l'histoire ? Comment écrire un ouvrage irréprochable d'un point de vue scientifique et qui soit en même temps agréable à lire et captivant ? Cette question me passionne. Je viens de terminer deux livres, Le Chapeau de Vermeer par Timothy Brook et L'Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus par Ivan Jablonka. Deux brillantes sources d'inspiration pour rédiger ma propre Histoire de Lisieux. Ce ne sont pas des romans mais leur auteurs utilisent habilement des procédés d'écriture pour combiner rigueur historique et littérature. 

L'histoire des grands-parents que je n'ai pas eus, par Ivan Jablonka, 2014. 

Un livre de haut-vol (d'ailleurs récompensé par trois prix) qui arrive à concilier les contraires. Ivan Jablonka essaie de reconstituer la vie d'un jeune couple de Polonais juifs, émigrés en France puis déportés à Auschwitz-Birkenau. Un véritable défi d'écriture parce que ce sont des petits gens, des "invisibles". L'auteur doit mobiliser ses compétences d'historien : exploration et analyse des archives, recueil de témoignages oraux ou écrits, déplacements sur les lieux... Mais les deux personnes qu'il étudie ne sont pas n'importe qui : ce sont ses grands-parents, Matès et Idesa Jablonka. D'où un ouvrage particulier. Le discours méthodique, rigoureux, distancié de l'historien se confond avec un récit personnel, celui d'un petit-fils de déporté, dans lequel le "je" et l'émotion ne sont pas, pour une fois, proscrits. Mélange rare d'un livre scientifique et d'une égo-histoire.

Dans l'objectif de mon propre projet, je retire de cette lecture deux procédés littéraires intéressants :
- l'auteur s'implique. Ce n'est pas un livre froid, désincarné. Il fait part de son excitation à la découverte d'un document qui parle enfin de son grand-père ; il révèle sa frustration quand il interroge en vain une femme qui a probablement connu ses grands-parents mais dont la sénilité rend incapable de témoigner.
- le livre se rapproche des romans policiers. Ivan Jablonka nous emmène dans son enquête dont l'objectif n'est pas de retrouver un meurtrier mais de chercher la moindre trace de vie laissée par deux disparus. Au départ, l'historien ne dispose que des maigres souvenirs de son père, de quelques lettres et d'un passeport. La persévérance d'Ivan Jablonka, sa maîtrise des archives lui permettent de reconstituer l'itinéraire funeste de ses grands-parents. Cette quête est passionnante, en plus d'être poignante.

Le chapeau de Vermeer, par Timothy Brook, 2012. 

Cet historien canadien réussit un tour de force : nous intéresser aux débuts de la mondialisation au XVIIe siècle. Sa tactique : partir notamment de six tableaux de Vermeer et raconter l'histoire d'un objet qu'il a pioché dans la peinture. Un chapeau de fourrure, une jatte de fruit en porcelaine, quelques monnaies en argent..., les objets sont des "portes à ouvrir" qui nous font "pénétrer dans des couloirs menant à des découvertes sur le monde du XVIIe siècle". Nous voilà donc partis pour des voyages fascinants en Hollande, en Chine, en Amérique du Sud, sur les océans il y a plus de 300 ans...  Dépaysement assuré.

Qu'en retenir pour mon Histoire de Lisieux ?
- J'aime cette métaphore de la porte : introduire chaque chapitre par un objet, une œuvre d'art pour faire entrer le lecteur dans une époque. Je peux compter sur les collections du musée d'art et d'histoire de Lisieux pour trouver les ouvertures.
- On peut arriver à parler de faits complexes et spécialisés (en l'occurrence l'économie au XVIIe siècle dans Le Chapeau de Vermeer) sans être ennuyeux et incompréhensible. Timothy Brook sait "monter le niveau" sans perdre son lecteur. Il cale de nombreux récits passionnants et pertinents, évite le jargon et les théories qui n'intéressent que les spécialistes. Enfin, il essaie constamment d'être concret.
- un livre d'histoire n'est pas un seulement un récit des événements qui se sont passés. C'est aussi une plongée dans une culture étrangère à nos yeux du XXIe siècle. A Lisieux, au XVIIe siècle, ou à une autre époque, on naît, on meurt, on s'habille, on se déplace, on travaille, on pense, on s'amuse d'une façon qui n'a rien à voir avec la nôtre. A moi de ressusciter cet "exotisme".

Les historiens Ivan Jablonka et Timothy Brooke renouvellent, chacun à leur manière, l'écriture de l'histoire. Je vous invite à lire leur livre. De mon côté, j'espère qu'ils m'accompagneront inconsciemment dans mon travail.

1 commentaire:

  1. Ces présentations de ces livres nous donnent envie de les dévorer.....
    A bon entendeur salut !
    Annie

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