jeudi 19 novembre 2015

Le dernier évêque de Lisieux

Jules Basile Ferron de la Ferronnays (quel nom !) fut le dernier évêque de Lisieux. Il est un bon guide pour suivre l'histoire de la ville à la fin du XVIIIe siècle, notamment sous la Révolution. Il est d'autant plus incontournable qu'une fontaine rappelle aujourd'hui une de ses actions. Pour raconter cet épisode lexovien, je prendrai un extrait de mon livre. 






Encore un miraculé de la guerre. De ce côté de la rue Degrenne, tout a brûlé, tout a disparu dans l’apocalypse de juin 1944. Tout sauf cette fontaine en pierre, qui semble surgir de son XVIIIe siècle au milieu des immeubles modernes. Le monument, massif, semble disproportionné par rapport au petit robinet ancré à sa base. Indéniablement le commanditaire a voulu donné un caractère ostentatoire à cet édifice. Des armoiries sculptées dans la partie supérieure nous mettent sur la piste de l’orgueilleux : la crosse et la croix qui les traversent trahissent un commanditaire ecclésiastique. Son nom apparaît sur la plaque noire en dessous : fontaine de La Ferronnays. Jules Basile Ferron de la Ferronnays (1735-1799) fut le dernier évêque de Lisieux. 

En 1783, à la mort de l’évêque Jacques Marie Caritat de Condorcet, le roi Louis XVI nomme Jules Basile Ferron de La Ferronnays comme successeur. Âgé de 48 ans, l’heureux élu est issu d’une famille aristocratique bretonne. Alors que ses sept frères s’illustrent sur les champs de bataille, il est le seul à mener une carrière ecclésiastique. 

 Il est de tradition que la municipalité finance une somptueuse fête pour la réception du nouvel évêque dans la ville. D’emblée, Ferron de la Ferronnays se signale par un geste fort : modestement, il renonce à l’accueil fastueux que comptait lui préparer la ville et demande d’employer les sommes ainsi économisées à des travaux d’utilité publique. Après réflexion, le corps municipal propose l’édification d’une fontaine. Le prélat valide.
Gravé sur le monument, un distique, désormais peu lisible, résume cet épisode :
Dédaignant des honneurs le trop vain étalage, 
D'un monument utile, il préféra l'hommage

 
 
Si, de nos jours, la construction d’une fontaine contribue à embellir et animer un lieu (à l’instar de celle place François Mitterrand), à la fin du XVIIIe siècle, c’est un choix avant tout utilitaire. En l’absence d’un réseau d’adduction, une fontaine a pour rôle de fournir en eau tout un quartier. Alimentée par les sources, elle propose une eau plus pure que celle extraite des puits ou recueillie dans la Touques. A proximité de cette fontaine monumentale, il faut donc imaginer, il y a plus de deux cents ans, une file de femmes attendant leur tour pour remplir leurs seaux. L’arrivée de l’eau courante dans chaque foyer a fait disparaître ce genre de scène. Obsolète, la fontaine de la rue Degrenne est-elle encore en état de marche ? Je n’y ai jamais vu couler la moindre goutte d’eau. 

En cette fin du XVIIIe siècle, les Lexoviens bénéficient donc d’une nouvelle fontaine, d’autres étant déjà installées dans la ville. Ils peuvent se féliciter d’avoir à leur tête un évêque-comte si bienfaisant. Savent-ils qu’ils accueillent en prime un héros ? En effet, Ferron de la Ferronnays s’est fait connaître jusqu’à la Cour par un moment de bravoure[1]. En 1773, alors évêque de Saint-Brieuc, il apprend que dans un  village voisin (Châtelaudren ?), la rivière est brusquement sortie de son lit après un orage. En arrivant sur les lieux, il découvre des habitants réfugiés sur le toit de leurs chaumières ou dans la cime des arbres alors que le flot emporte tout sur son passage. L’évêque promet une récompense à ceux qui secourront les malheureux ; malgré l’argent offert, aucun n’ose affronter les tumultes de la rivière. Devant ces refus, Ferron de la Ferronnays se mouille lui-même : il entre dans l’eau, une corde à la main, prêt à franchir le torrent pour l’attacher sur l’autre bord. Le geste courageux de l’évêque réveille les plus hardis habitants qui se jettent à leur tour dans la rivière, et s’emparent de la corde. Les réfugiés sont finalement sauvés. Apprenant la nouvelle, Louis XV aurait déclaré : « Je reconnais bien là les La Ferronnays : celui-ci se jette à l'eau, comme ses frères courent au feu ». 

Lisieux semble donc accueillir en 1783 un prélat d’exception, courageux et bienfaisant. Le portrait doit toutefois être complété. L’historien de Lisieux, Louis du Bois, alors jeune écolier, l’a connu : « Je remarquais un esprit au-dessus du vulgaire, une grande habitude du monde élégant, un caractère gracieux et bienveillant. [Il] était un homme du monde, c’est-à-dire un homme de bon ton, de bon goût et de bon esprit »[2]. Un autre historien, Emile Sévestre, met en valeur ses paradoxes : « son air aristocratique et hautain laissait à peine entrevoir sa réelle bienfaisance »[3]. Si, à plusieurs reprises, ses actes attestent sa générosité envers les pauvres et les infortunés, il délaisse l’administration de son diocèse à des vicaires généraux pendant qu’il réside le plus souvent à Paris. En cela, il ne se distingue en rien de ses prédécesseurs sur la chaire épiscopale. Sa présence dans le pays d’Auge est assez exceptionnelle. 

Six ans après la nomination de Ferron de la Ferronays à Lisieux, la Révolution éclate. Comment cet aristocrate, qualifié de bienveillant, va réagir à ce tourbillon politique ? 


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C'était donc le début d'un chapitre consacré au dernier évêque de Lisieux. Ce n'est pas un écrit définitif. Je compte sur vous pour faire des remarques. Est-ce clair, bien écrit, intéressant ? Si vous êtes arrivés jusqu'à ces lignes, je suppose que ça vous a plu !





[1] Honoré Fisquet, La France pontificale. Histoire chronologique et biographique des archevêques et évêques de tous les diocèses de France, Repos, 1864, vol.Métropole de Rouen - Bayeux et Lisieux. ; Auguste Bordeaux de Prêtreville, Notice sur Jules-Basile Ferron de la Ferronnays, évêque et comte de Lisieux, Lisieux et Paris, Renault et Gaume, 1829, p.7.
[2] Louis-François Du Bois, Histoire de Lisieux : ville, diocèse et arrondissement. Tome 1, Réédition en 2003., Durand (Lisieux), 1845, p.468-469.
[3] Émile Sévestre, Les problèmes religieux de la Révolution et de l’Empire en Normandie, 1787-1815, A. Picard (Paris), 1924, p.7.

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